La “crise des migrants” est avant tout politique

Bien moins de personnes arrivent par la mer en Europe. Et pourtant, le débat au niveau politique semble suggérer une crise migratoire majeure. En fait, elle a été engendrée par une mauvaise gestion politique.

Published On: juin 27th, 2018
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La “crise des migrants” est avant tout politique

Bien moins de personnes arrivent par la mer en Europe. Et pourtant, le débat au niveau politique semble suggérer une crise migratoire majeure. En fait, elle a été engendrée par une mauvaise gestion politique.

Photo: Wikimedia

Il y a cinq ans, les dirigeants italiens et européens s’étaient recueillis devant les cercueils empilés dans un entrepôt sur l’île de Lampedusa. “Des cercueils de nouveau-nés, les cercueils d’une mère et de son enfant né juste au moment du naufrage. Cette vue m’a profondément choqué”, a reconnu José Manuel Barroso, alors président de la Commission européenne, après sa visite. C’était début octobre 2013, lorsque 373 migrants avaient péri noyés au large de Lampedusa, alors qu’ils espéraient de l’aide, l’asile et une nouvelle vie en Europe.

La Commission européenne a alors rapidement annoncé de grands projets visant à faire baisser le nombre de décès. La surveillance des frontières devait être intensifiée, les bateaux apportant de l’aide ne devaient pas être sanctionnés, une protection régionale, une relocalisation et des moyens légaux pour s’installer en Europe devaient être offerts, les canaux diplomatiques avec les pays africains devaient être exploités. Le même refrain était passé en boucle pendant des années – mais le centre de gravité a dérivé vers la consolidation des frontières et la transformation de l’Europe en une forteresse.

Les chefs d’Etat et de gouvernement se rencontrent à Bruxelles le 28 juin pour discuter de migration, alors que les réformes du droit d’asile de l’UE ont été mises de côté. Les derniers projets de conclusions , que nous avons pu voir, évoquent “un contrôle efficace des frontières extérieures” et “des plateformes de débarquement régionales” en dehors de l’UE où les demandes d’asile seraient traitées.

Aujourd’hui, les embarcations de sauvetage des ONG sont sanctionnées, certaines confrontées à des poursuites judiciaires, alors que l’Italie bloque ses ports. Mission Lifeline, l’embarcation de sauvetage d’une ONG allemande, avec plus de 200 personnes à bord, doit rester amarrée à Malte, après six jours passés en mer.

La vague de décès se poursuit, après avoir atteint un pic à 5100 victimes en 2016. Plus encore ont sans doute péri dans les déserts pour gagner la Libye.

Beaucoup de rescapés ont été sauvés par les autorités italiennes et européennes et les ONG. Mais alors que l’étendue des opérations de l’Italie et de l’UE se réduit, les militants doivent reprendre le flambeau, en travaillant main dans la main avec des autorités libyennes désordonnées, dorénavant chargées de mener la plupart des sauvetages.

Pour les hommes politiques et les chefs d’Etat de l’UE, le débat sur l’asile et l’immigration devrait être focalisé sur les chiffres et les statistiques. Mettons la politique de côté. Les chiffres montrent que l’Europe est désemparée – incapable de mener sa bataille de communication contre la xénophobie et le populisme attisant les peurs du Premier ministre hongrois Viktor Orban et du ministre italien de l’intérieur Matteo Salvini.

Le nombre de migrants qui embarquent à bord de bateaux pour atteindre la côte sud de l’Europe est en baisse. Et pourtant, le débat a ébranlé l’Union européenne en son cœur. A son paroxysme, plus d’un million de migrants ont traversé la Méditerranée en 2015, avec un pic à 221 000 rien qu’en octobre. A peine 43 000 personnes ont débarqué au cours des six derniers mois, avec une augmentation du nombre d’arrivées en Espagne.

Une partie de cette diminution est sans doute due à un accord de 2017 entre l’Italie et la Libye et aux efforts déployés par l’UE afin que les garde-côtes libyens repêchent les naufragés de l’eau. Cette tendance est observée également depuis la signature d’un accord controversé entre l’UE et la Turquie en mars 2016.

Parallèlement, des discussions plus larges sur un consensus politique ont été reportées. Elles devaient porter sur la réforme de Dublin, le règlement qui détermine la responsabilité du traitement des demandes de protection internationale. Cette réforme a engendré de profondes divisions entre les Etats membres de l’Union. Le groupe de Visegrád, alliance diffuse entre la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie, s’oppose à l’idée même de répartition ou de relocalisation entre les Etats membres de l’UE.

Fin 2015, les ministres de l’intérieur de l’UE ont voté une répartition des demandeurs d’asile présents dans les pays en première ligne comme la Grèce ou l’Italie. En fonction de la taille et du PIB des différents pays, d’après les calculs de la Commission, la Hongrie et la Slovaquie devaient accueillir respectivement 1294 et 902 personnes. Prague, Budapest et Bratislava avaient voté contre ce programme. Varsovie les a rejoints par la suite, après un changement de gouvernement. Alors que le programme de deux ans a touché à sa fin, seulement 34 000 réfugiés ont été relocalisés. Ils se sont retrouvés pour la plupart en Allemagne, ou encore en France ou en Suède. La Hongrie et la Pologne n’en ont accepté aucun.

Alors que la présidence bulgare se termine, les grandes questions sur Dublin et la relocalisation restent sans réponse. La Commission européenne s’efforce de boucler cinq des sept réformes en cours d’ici la fin du mois. Elle souligne que Dublin et le règlement sur les procédures d’asile devraient être votées d’ici la fin de l’année. C’est une tâche colossale. Le secrétaire d’Etat belge à l’asile et à la migration, Theo Francken, a déclaré il y a quelques semaines que la réforme de Dublin était « morte ». Les présidences slovaque, maltaise, estonienne et bulgare, malgré leurs efforts, ne sont jamais parvenues à faire émerger un consensus.

L’Autriche, qui s’en va en guerre contre la migration et l’asile, est le prochain rival  à affronter. Son chancelier Sebastian Kurz a proposé de mettre en place des “centres non attractifs” en Europe, en menaçant de fermer sa frontière Brenner Pass avec l’Italie, et demeure peu enclin à la relocation de demandeurs d’asile, comme le montre le graphique ci-dessus.

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