Les inégalités selon Thomas Piketty en 10 graphes

Dans les 1200 pages de Capital et idéologie, le nouveau livre de Thomas Piketty, on trouve plus de 160 graphiques et une dizaine de tableaux qui permettent de raconter autrement deux siècles et demi d’histoire des inégalités. Nous en proposons ici une sélection.

Published On: septembre 14th, 2019
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Les inégalités selon Thomas Piketty en 10 graphes

Dans les 1200 pages de Capital et idéologie, le nouveau livre de Thomas Piketty, on trouve plus de 160 graphiques et une dizaine de tableaux qui permettent de raconter autrement deux siècles et demi d’histoire des inégalités. Nous en proposons ici une sélection.

Photo: Denis Carrascosa, Flickr | PD

L’économiste, collectionneur de chiffres, bâtit ses analyses sur une impressionnante quête de données qui permettent de raconter autrement deux siècles et demi d’histoire des inégalités et des idées avancées pour les justifier. Il s’agit d’une autre façon d’entrer dans ce monument.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la Révolution française n’a pas remis en cause la concentration des richesses. Juste avant la Première Guerre mondiale, elle était même plus forte que sous l’Ancien régime ! La véritable révolution s’est produite au XXe siècle qui a vu l’émergence d’une classe moyenne patrimoniale, les 10 % les plus riches perdant du poids en faveur des 40 % suivants. Mais la moitié la moins favorisée n’a jamais détenue plus de 10 % des richesses.

La mondialisation financière de la fin du XIXe siècle a joué un rôle important dans la concentration des propriétés. Juste avant la Première Guerre mondiale, les plus riches Britanniques et plus les riches Français détenaient une part significative de leur patrimoine en placements à l’étranger. Avec l’effondrement de tous les marché durant l’entre-deux guerres et la régulation financière publique mise en place après 1945, ils seront les premières victimes des variations de la finance. Aujourd’hui, au Japon et en Allemagne, les placements à l’étranger sont également très présents mais dans une moindre mesure que dans la phase précédente de mondialisation.

L’émergence d’une classe moyenne patrimoniale durant le XXe siècle s’explique en partie par la chute de la valeur des propriétés (immobilières, professionnelles et financières) des plus fortunés. Les destructions dues aux guerres n’expliquent qu’un quart de cette baisse. Un tiers à la moitié reflète le fait qu’une grande partie de l’épargne des plus riches était placée en titres de dettes publiques dont la valeur a été quasiment ramenée à zéro du fait de l’inflation et de taxes exceptionnelles. La dernière partie s’explique par les évolutions politiques qui visent à limiter les droits des propriétaires (encadrement des loyers,…).

La montée d’une classe moyenne patrimoniale a été rendue possible par la chute de la valeur du patrimoine des plus riches mais aussi du fait d’une moindre concentration des richesses. Les politiques fiscales progressives mises en œuvre au cours du XXe siècle jusque dans les années 1980 ont permis une redistribution des propriétés. Depuis, les politiques fiscales favorables aux plus aisés ont contribué à une remontée des inégalités.

Les Français les plus pauvres détiennent essentiellement de l’argent sur leur compte courant à la banque. Quand on monte dans la hiérarchie des revenus, l’immobilier prend une place croissante, puis les placements sur les marchés financiers (actions, obligations, etc.). Ces derniers deviennent majoritaires pour les 1 % les plus riches et représentent 86 % du patrimoine des 0,1 % les plus fortunés. Une politique fiscale qui diminue l’imposition des revenus de la finance profite de manière très importante aux plus riches des riches.

Thomas Piketty propose une analyse socio-électorale des votes en fonction des niveaux de diplôme, de revenu et de patrimoine. Il montre que les partis sociaux-démocrates en France, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et dans d’autres pays, aussi différents soient-ils, ont tous connu la même évolution : alors que des années 1950 à 1980, ils rassemblaient les votes des moins qualifiés et des plus pauvres, ils sont devenus le parti des plus diplômés. 

Abandonnant les moins favorisés à leur sort, ces partis ont célébré le droit de propriété, s’appuyant sur sa dimension émancipatrice – tout le monde a le droit de posséder quelque chose et de bénéficier de la protection de l’Etat pour le conserver – mais en oubliant son aspect inégalitaire, les plus riches accumulant sans limite.

Le XXe siècle a été celui de la forte progression des dépenses d’éducation. Progressivement, les pays ont amené la totalité d’une classe d’âge au niveau primaire, puis secondaire. Il était ensuite impossible d’emmener toute la population en études supérieures. Mais les gouvernements, en particulier ceux issus de la social-démocratie, n’ont pas cherché à réduire les inégalités d’accès aux formations. 

L’Europe n’attire plus car elle s’est coupée d’une grande partie des Européens. En France, lors du référendum de 1992 sur le Traité de Maastricht, la victoire du Oui a été acquise grâce aux plus diplômés et aux plus hauts revenus. En 2005, le référendum pour une constitution européenne se passe mal : les Français rejettent le projet, l’Union a perdu beaucoup de soutien, elle n’attire plus majoritairement que les 20 % les plus aisés et les 10 % les plus diplômés.

En 2016, le même phénomène se reproduit au Royaume-Uni. Les 40 % des plus hauts patrimoines ont voté pour le maintien dans l’Union et seuls les 20 % des plus hauts revenus et des plus diplômés les ont suivi. En étant incapable de répondre aux inégalités croissantes, voire en les aggravant par certains de ses choix, l’Europe a perdu tout soutien populaire.

Au regard de la longue période, les inégalités en France et en Europe n’ont pas encore atteint les sommets de la Belle Epoque. Aujourd’hui, le Moyen Orient apparaît comme la partie du monde la plus inégalitaire. Mais on peut faire pire : les sociétés coloniales affichent les niveaux d’inégalités les plus élevés de l’histoire.

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