Que font les pays de l’Union face à l’inflation ?

Transfert vers les plus vulnérables, baisse des taxes, régulation des prix… Les pays européens prennent des mesures pour contenir l’inflation. Ont-ils tous misé sur les mêmes leviers ? Certaines stratégies sont-elles plus efficaces que d'autres ? Tour d'horizon.

Published On: mai 31st, 2022
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Que font les pays de l’Union face à l’inflation ?

Transfert vers les plus vulnérables, baisse des taxes, régulation des prix… Les pays européens prennent des mesures pour contenir l’inflation. Ont-ils tous misé sur les mêmes leviers ? Certaines stratégies sont-elles plus efficaces que d’autres ? Tour d’horizon.

Baisser les taxes sur l’essence, distribuer des chèques aux plus précaires, réguler les prix… : que faire pour lutter contre l’inflation ? Au sein de l’Union européenne, plus aucun gouvernement ne peut ignorer cette question, car en mars les prix y ont augmenté de 7,8 % sur un an . Certains pays sont touchés plus durement que d’autres. Les Pays-Bas doivent faire face à une inflation de quasiment 12 %, l’Espagne et la Slovaquie de presque 10 % quand l’Italie ou la Grèce se situent plus proches de la moyenne de la zone euro (7,5 %) et la France ou la Finlande plutôt en dessous (à respectivement 5,1 % et 5,6 %).

En France, le gouvernement a dégainé depuis le mois de novembre plusieurs mesures pour préserver le pouvoir d’achat des ménages. Le prix du gaz et de l’électricité a été bloqué par le bouclier tarifaire , une indemnité inflation de 100 euros a été versée à tous ceux et celles dont le revenu est inférieur à 2 000 euros net par mois et un chèque énergie de 100 euros a été distribué aux Français les plus modestes. Une remise à la pompe de 15 centimes d’euro par litre est également entrée en vigueur au 1er avril. Nos voisins européens ont-ils activé les mêmes leviers ?

Trois leviers mobilisés

« Les mesures ne sont jamais identiques d’un pays à l’autre, puisque les gouvernements composent avec un contexte national. Mais on peut identifier trois grands types de politique qui ont été initiés en Europe depuis l’automne 2021 et plus intensément depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine : les transferts aux plus vulnérables, les réductions temporaires de taxes ou remises sur le prix des carburants et, dans une moindre mesure, la régulation des prix », décrit Nadia Gharbi, économiste chez Pictet Wealth Management.

Tous les pays européens, sauf la Bulgarie et la Hongrie, ont ainsi mis en place des mesures à destination des plus vulnérables, constate l’Institut Bruegel , qui a passé au crible toutes les réponses nationales face à l’inflation. La forme et l’ampleur de ces transferts étant évidemment variable. En Belgique, certains ont eu droit à un chèque énergie de 80 euros(1) , en République tchèque, deux minima sociaux ont été augmentés de 10 %, la Grèce a quant à elle versé une allocation de 200 euros aux retraités disposant d’une petite pension et, pour ne citer que quelques exemples, un versement de 15 à 20 euros par mois pour 150 000 ménages vulnérables a été instauré en Lituanie jusqu’à fin 2022. Les outils de politique économique se combinent parfois. Ainsi, au Portugal, les ménages les plus précaires ont été exonérés de deux taxes pour faire diminuer leur facture d’électricité. Chypre avait adopté la même logique dès novembre en réduisant le taux de TVA de 19 % à 5 % sur la facture d’électricité des plus modestes pendant six mois.

La plupart des baisses de taxes décidées par les capitales européennes n’ont cependant pas été ciblées, et bénéficient donc à l’ensemble de la population des pays concernés sans considération du niveau de revenus. Les taxes sont celles portant sur l’électricité, sur l’essence, voire sur les deux. « L’avantage d’une baisse de taxe est d’être immédiatement visible par les consommateurs. En revanche, elle est couteuse et ne permet pas de cibler les ménages les plus modestes, explique Nadia Gharbi. Les transferts, par opposition aux baisses de taxes, ne réduisent pas les prix des biens, mais ont l’avantage de cibler les ménages les plus précaires. »

Le troisième levier activé est la régulation des prix. La France l’a fait avec le bouclier tarifaire. L’Estonie et la Roumanie, entre autres, ont choisi aussi cette option, en décidant le blocage des prix de l’électricité et du gaz respectivement en janvier et en mars. L’Espagne et le Portugal sont allés un cran plus loin pour extraire le prix de l’électricité des mécanismes de marché qui le faisaient s’envoler.

En raison de leur faible interconnexion électrique avec le reste du continent européen, Madrid et Lisbonne ont obtenu, fin avril, l’autorisation des institutions européennes de sortir du mécanisme européen de tarification . En vertu de ce dernier, le prix de l’électricité est calculé, sur le continent, en fonction du coût de production du dernier mégawattheure introduit sur le réseau pour faire face à la demande. En l’occurrence du prix  du gaz donc, qui est souvent sollicité en renfort d’autres sources électriques (nucléaire, renouvelables) lors des pics de consommation. « Le prix du gaz, qui s’est vu multiplier par cinq depuis l’été dernier [dans l’ensemble de la péninsule ibérique, NDLR], a entraîné une augmentation généralisée du prix de la facture de l’électricité en Espagne », observe Ticiano Brunello, économiste en charge de l’Espagne et du Portugal au Crédit agricole . Le prix du mégawattheure de gaz sur les réseaux espagnols et portugais a été plafonné à 40 euros pour les premières semaines d’application du dispositif, et devra être progressivement remonté à 50 euros. « Le résultat de ce mécanisme (…) donne un prix journalier moyen du mégawattheure d’électricité d’environ 130 euros ou 140 euros », détaille l’économiste, soit nettement moins que les 283 euros constatés sur le marché ibérique.

Taxation des surprofits

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. La remontée de l’inflation a également ouvert un débat sur la taxation des profits des entreprises. Et plus particulièrement des entreprises énergétiques qui profitent aujourd’hui des prix élevés de leurs produits, au point de réaliser des surprofits estimés par l’Agence internationale de l’énergie à plus de 200 milliards d’euros dans le monde en 2022. L’institution recommande aux Etats de considérer des augmentations de taxes sur ces bénéfices exceptionnels. En Europe, seules l’Italie et la Roumanie ont pour l’instant franchi le cap. Rome a ainsi adopté au mois de mars une taxe de 10 % sur les bénéfices exceptionnels et a rehaussé ce taux à 25 % dans un décret paru au mois de mai . Bucarest, de son côté, a annoncé dès le mois d’octobre 2021 qu’elle taxerait à 80 % les revenus des producteurs d’électricités découlant de la vente d’un mégawattheure au-delà de 91 euros.

Les pays européens hors zone euro disposent de leur propre banque centrale et ne sont donc pas sous la coupe de la Banque centrale européenne (BCE), ce qui leur confère un levier national supplémentaire pour faire face à l’inflation : les taux d’intérêt. Ces taux fixés par leurs banques centrales respectives déterminent le prix auquel celles-ci prêtent aux autres banques présentes dans le pays, et donc indirectement celui auquel ces banques commerciales vont accepter de prêter ensuite aux ménages et aux entreprises du pays. Remonter les taux permet de ralentir l’activité économique, et les baisser de la stimuler. La BCE, de son côté, n’a pas annoncé pour l’instant de hausse de ses taux directeurs, bien qu’elle prépare le terrain pour le faire dans les prochains mois. Mais certains pays hors zone euro ont déjà franchi le cap. C’est le cas par exemple en Pologne .  Dans ce pays où la plupart des prêts immobiliers sont à taux variables, la décision de la Banque centrale risque de peser sur le budget des ménages. La Hongrie , la Suède ou de la République tchèque ont également choisi récemment de réhausser leur taux d’intérêt.

Lutter contre l’inflation, quitte à oublier le climat ?

Réduction des taxes sur l’essence, baisse des tarifs de péage…, n’y a-t-il pas un risque que certaines mesures de lutte contre l’inflation ne nuisent à la transition écologique ? Peut-on concilier les deux combats ? « Protéger les ménages vulnérables [contre l’inflation, NDLR] est essentiel, mais il est important que les mesures correspondantes (…) ne réduisent pas les incitations à développer des énergies propres », insistait Laurence Boone, économiste en chef à l’OCDE, dès le mois d’octobre . Certains exemples en provenance de nos voisins permettent de concilier ce double impératif. En Allemagne, le gouvernement fédéral a annoncé, pour trois mois, la mise en place d’un pass mensuel permettant d’emprunter les transports en commun régionaux pour 9 euros. La Suède a quant à elle augmenté récemment les aides à l’achat d’un véhicule électrique. Et la Roumanie fournit aux ménages les plus pauvres des subventions à l’achat de matériel améliorant la performance énergétique des logements. Et parce que l’énergie la moins chère est encore celle que l’on ne consomme pas, l’Italie a limité la température de la climatisation à 25 degrés dans les bâtiments publics.

Un instrument efficace ? Pas si sûr. « L’inflation que nous traversons n’est pas d’origine monétaire et n’a donc pas de solution monétaire, affirme Olivier Passet, directeur de la recherche de Xerfi . Attaquer l’inflation contemporaine à la racine nécessite d’agir sur la structure de l’offre (…). Cela veut dire un soutien à l’isolation thermique, à la reconversion électrique des transports et de l’industrie, à la production d’énergie bas carbone (…), aux infrastructures de stockage des matériaux stratégiques, à l’exploration minière, à l’agriculture, etc. » Les banques centrales auraient donc plutôt intérêt à maintenir leur taux à un niveau faible pour permettre aux Etats de dépenser autant que possible pour réaliser toutes ces transformations à même de réduire les déséquilibres entre offre et demande dans certains secteurs, et la hausse des prix en découlant.

Nouvelles mesures en perspective

La boîte à outils des gouvernements européens a vocation à s’étoffer dans les prochaines semaines ou prochains mois. « L’Italie et l’Espagne, parmi d’autres, poussent pour une action commune européenne afin de mettre en place des stocks stratégiques [de gaz, NDLR] et d’acheter du gaz naturel en commun. D’autres, comme la Hongrie et la République tchèque, veulent réviser le marché carbone. Et la France veut modifier les règles de fixation du prix de l’électricité au niveau européen », listent Giovanni Sgaravatti, Simone Tagliapietra et Georg Zachmann de l’Institut Bruegel.

Jusqu’ici, toutes les mesures de lutte contre l’inflation ciblent essentiellement les prix de l’énergie. La guerre en Ukraine impose toutefois de nouvelles mesures notamment dans le secteur agricole. L’Espagne, par exemple, a autorisé les supermarchés à limiter le nombre de produits achetés par un consommateur afin d’en garantir la disponibilité pour tous. Et la Grèce a réduit de 13 % à 6 % le taux de TVA sur les engrais, dont la Russie est un gros exportateur .

Peu à peu, d’autres secteurs devraient être touchés. « Quand les prix de l’énergie restent élevés trop longtemps, cela finit par se répercuter dans les coûts de production des entreprises, et donc leurs prix », explique Nadia Gharbi. Est-ce à dire que les mesures de baisse de taxe ou de régulation des prix sont amenées à se généraliser ? Ces leviers ne pourront quoi qu’il arrive rester les seuls activés face à l’inflation, car ils ne traitent pas la racine de la maladie. Cette dernière tient à la fois à un contexte géopolitique qui risque d’être durablement bouleversé par la guerre en Ukraine, aux dépendances créées par la mondialisation des échanges et aux grandes mutations en cours et à venir de nos économies obligées de renoncer aux fossiles et de s’adapter au changement climatique . D’où le paradoxe pointé par Jonathan Marie et Virginie Monvoisin, des Economistes atterrés : « Si l’inflation est révélatrice de dysfonctionnements économiques importants, la priorité de la politique économique ne doit pas être la lutte contre l’inflation. »

(1)Il s’agit des ménages dont le revenu annuel ne dépasse pas 19 800 euros, augmenté de 3 600 euros par personne supplémentaire composant le ménage. 

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