Moins d’inondations côtières en Europe : à quel prix ?

Selon une nouvelle étude menée par le Centre commun de recherche, les pays européens ont prévu d’investir jusqu’à 1 270 milliards d’euros d’ici à 2100, afin d’éviter de perdre 98 % de plus à cause des dommages provoqués par les inondations côtières dues au changement climatique. 

Published On: mai 6th, 2020
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Moins d’inondations côtières en Europe : à quel prix ?

Selon une nouvelle étude menée par le Centre commun de recherche, les pays européens ont prévu d’investir jusqu’à 1 270 milliards d’euros d’ici à 2100, afin d’éviter de perdre 98 % de plus à cause des dommages provoqués par les inondations côtières dues au changement climatique. 

Photo: Leonidrad/Pixabay License

Dans les 80 prochaines années, les pays européens devront débourser entre 1,75 et 2,82 milliards d’euros par an afin de réduire les dommages provoqués par les inondations côtières, selon une nouvelle étude menée par le Centre commun de recherche de la Commission européenne, et publiée dans la revue scientifique Nature Communications. Cette fourchette d’estimations reflète l’incertitude quant à l’économie mondiale : si on adopte une économie verte, elle pourra permettre d’atténuer le réchauffement climatique ; sinon, elle continuera d’émettre autant de dioxyde de carbone qu’elle ne le fait aujourd’hui.

En effet, si les émissions de carbone sont faibles (RCP 4.5) ou fortes (RCP 8.5), la fonte des calottes glacières et la dilatation thermique de l’eau seront respectivement ralenties ou accélérées, entraînant une élévation moyenne du niveau de la mer de 50 à 80 cm (voire de plus d’un mètre) d’ici à 2100.

Le ralentissement économique dû à la crise du COVID-19 a permis de réduire provisoirement la consommation de pétrole et l’émission des gaz à effet de serre. Ironiquement, la propagation du coronavirus nous a offert une fenêtre éphémère sur le monde tel qu’il serait en cas de décélération du changement climatique.

Mais la situation pourrait revenir à son point de départ dès que la crise sanitaire sera maîtrisée. « Après la pandémie, les gouvernements stimuleront agressivement la reprise économique et les émissions de CO2 pourraient revenir à leur taux d’avant la pandémie, plutôt que de diminuer, comme attendu par les accords de Paris et le Pacte vert pour l’Europe », remarque Michalis Vousdoukas, premier auteur de l’étude du Centre Commun de recherche. « Dans ce cas, les coûts de la diminution des inondations côtières risquent de se rapprocher de la plus haute estimation. »

L’analyse coûts-bénéfices du Centre commun de recherche montre que dans les 80 prochaines années, selon un scénario de changement climatique de petite ou de grande ampleur, l’Europe pourrait économiser 200,1 milliards d’euros (soit 96 % des coûts des inondations côtières), ou bien 1 240 milliards d’euros (98 %), une fois les coûts des mesures de protection déduits. Cela impliquerait une élévation de la hauteur des digues côtières d’en moyenne 0,92 ou 1,04 cm.

En d’autres termes, en l’absence de mesures préventives, 209,8 ou 1 270 milliards d’euros pourraient bien être perdus à cause de l’action conjuguée des tempêtes, des raz-de-marée et de l’élévation du niveau de la mer.

Si rien n’est fait, dans le meilleur des cas, on peut s’attendre à 1 612,6 millions de victimes d’inondations. Dans le pire des cas, ce bilan atteindra les 3 898,2 millions de victimes parmi les 200 millions d’Européens qui vivent à moins de 50 km des côtes qui s’étendent de la Baltique et l’Atlantique Nord-Est jusqu’à la mer Méditerranée et la mer Noire, et ce, sur 100 000 km. De plus, les tendances actuelles indiquent que les migrations vers les zones côtières persisteront.

Aujourd’hui, les pertes de l’Europe dues aux inondations côtières s’élèvent à 1,4 milliards d’euros par an (selon des estimations de 2015). Chaque année, environ 100 000 citoyens sont touchés par des inondations côtières qui, d’ici la fin du siècle, monteront en flèche notamment en France, au Royaume-Uni, en Italie, mais aussi au Danemark. Les trois premiers pays possèdent les plus longs littoraux et les plus fragiles, sur lesquels se trouvent des infrastructures et biens immobiliers de valeur. Par conséquent, leurs coûts d’adaptation sont les plus élevés.

Le Royaume-Uni devrait dépenser entre 522 et 719 millions d’euros par an pour renforcer ses structures de protection côtière (25 % des investissements européens), soit bien plus que les autres pays. La France (entre 269 et 385 millions d’euros par an) et l’Italie (entre 180 et 261 millions d’euros par an) dépenseront respectivement deux et trois fois moins d’argent que le Royaume-Uni, mais plus que la Norvège (entre 126 et 269 millions) et l’Allemagne (entre 125 et 230 millions).

L’élévation de la hauteur des digues, qui devrait optimiser les économies, varie dans toute l’Europe, de 31 à 39 cm à Malte jusqu’à 2,85 à 3,43 mètres en Belgique. Les pays ayant besoin d’élever leurs digues au-dessus de la moyenne européenne sont la Slovénie (2,12 à 2,32 mètres), la Pologne (1,57 à 1,66 mètres), le Royaume-Uni (1,47 à 1,5 mètres), l’Allemagne (1,42 à 1,44 mètres), les Pays-Bas (1,30 à 1,53 mètres) et l’Estonie (0,97 à 1,42 mètres).

Au Royaume-Uni, les bénéfices économiques seraient supérieurs aux coûts nécessaires pour l’élévation de la hauteur des digues (construction jusqu’en 2050 et entretien jusqu’en 2100) sur seulement un tiers du littoral. En France et en Italie, au contraire, plus de la moitié du littoral pourrait être protégé de façon rentable.

Selon les chercheurs du Centre commun de recherche, les coûts totaux seraient supérieurs aux bénéfices sur 68 à 76 % des côtes européennes. Ils proposent donc de ne surélever les digues que sur environ un tiers du bord de mer européen, c’est-à-dire dans les zones où la densité de population dépasse 500 habitants au km². Dans ces endroits, des murs protecteurs plus hauts pourraient épargner à 83 % de la population de subir des inondations.

Le rapport coûts-bénéfices moyen (les dommages évités grâce à l’argent investi pour les digues) devrait varier entre 8,3 (faibles émissions de carbone) et 14,9 (fortes émissions de carbone) à l’échelle européenne, et entre 1,6 et 34,3 à l’échelle nationale. Cela signifie que pour chaque euro investi, les contribuables de tous les pays économiseraient chacun 1,6 ou 34,3 euros, selon l’évolution des risques d’inondation et de leurs dégâts dans le temps. Ces bénéfices seront les plus importants dans les zones à forte croissance socio-économique susceptibles de subir de fortes inondations côtières et dans lesquelles les émissions de gaz à effet de serre sont permanentes. La Belgique détient le record du pourcentage de bord de mer où les bénéfices seraient supérieurs aux coûts (85 à 95 %), suivie par la France (58 à 66 %) et l’Italie (53 à 59 %). À l’échelle régionale, c’est le comté du Devon, au Royaume-Uni, qui engrangera le plus de bénéfices nets (14 à 60 %), devant la région des Pouilles, en Italie (17 à 49 %), Murcie en Espagne (15 à 37 %), la région de la Loire (8 à 44 %), le comté du Merseyside au Royaume-Uni (15 à 31 %) et le Pays Basque espagnol (13 à 33 %).

Après la mise en place de protections supplémentaires, l’Europe sera encore touchée par les conséquences financières et humanitaires des inondations côtières précédentes. Les pertes inévitables sont estimées à 8,88 milliards d’euros et 653 390 victimes d’inondations en cas de faibles émissions de carbone et à 23,9839 milliards d’euros et 1 343,05 millions de victimes en cas de fortes émissions. Le Royaume-Uni sera toujours en tête du classement, avec un bilan de 1,77 ou de 3,6 milliards d’euros qui sortiront des caisses de l’État et 252 000 ou 536 000 victimes.

Dans le pire des cas, malgré une protection renforcée, l’Écosse, l’Irlande, le Danemark, la Roumanie, la Croatie, Chypre, la Sicile, l’Andalousie, la Bretagne, la Provence et le sud-est de la mer Baltique verront leurs pertes financières dépasser les 300 millions d’euros d’ici à la fin du siècle. Les habitants de la région des Pouilles en Italie, de la Croatie, des îles Ioniennes en Grèce, du pays Basque, de la Basse-Normandie, du Nord-Pas-de-Calais, de l’Écosse, de l’Irlande et du sud-est du Royaume-Uni seront le plus en danger. Dans toutes ces régions, si les émissions de carbone ne parviennent pas à chuter aux niveaux les plus bas recommandés par les scientifiques, il ne sera pas suffisant de construire des digues plus hautes pour sauver 15 000 personnes de la montée des eaux.

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