Le retour de l’ours dans les Alpes

L'ours, dans l'imaginaire collectif, fait partie des animaux sauvages auxquels l'homme a été le plus confronté au cours de l'histoire. Suite à l'extermination de ce grand mammifère, sa réintroduction dans différents pays européens suscite autant d'engouement que de perplexité.

Published On: janvier 22nd, 2019
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Le retour de l’ours dans les Alpes

L’ours, dans l’imaginaire collectif, fait partie des animaux sauvages auxquels l’homme a été le plus confronté au cours de l’histoire. Suite à l’extermination de ce grand mammifère, sa réintroduction dans différents pays européens suscite autant d’engouement que de perplexité.

Photo: Ours en Slovénie – © Neil Burton/Shutterstock

Les ours peuplaient autrefois l’ensemble du continent européen, à l’exception des îles de Sardaigne, de Corse, d’Irlande et d’Islande. Le XVIIIe siècle a été marqué par une forte réduction du nombre d’ours en raison de l’élevage, de l’agriculture et de la déforestation de plus en plus importants en zone de montagne. La persécution par l’homme dont ils ont fait part, pour des motifs liés à la peur ou à l’augmentation de la chasse, a également contribué à ce dépeuplement dramatique.

Au début du XXe siècle, il ne restait plus qu’une quarantaine d’ours dans la région correspondant au territoire actuel de la Slovénie. Pour remédier à cette disparition progressive, plusieurs mesures ont été prises au fil des années, comme dans les Balkans. Ainsi, en Slovénie, ce prédateur fut déclaré « espèce protégée » en 1935, la période de chasse fut réglementée en 1953 et le recours à des appâts empoisonnés fut interdit en 1962. Ces politiques connurent un certain succès, puisque près de 4 000 exemplaires peuplent actuellement les chaînes montagneuses des Alpes dinariques et du Pinde, qui s’étendent de la Slovénie à la Grèce. Cette estimation, qui couvre la période 2012-2016, est tirée d’une étude réalisée pour le Parlement européen en 2018 par l’Institut norvégien pour la recherche sur la nature.

Dans les Alpes italiennes, les premières tentatives de repeuplement virent le jour dans la région du Trentin : en 1960 et 1969 aux abords de la Val Genova, et en 1974 à Selva Piana, à proximité de la Valle dello Sporeggio. Mais ces mesures échouèrent. Vers les années quatre-vingt-dix, en effet, le massif de Brenta, dans la région du Trentin, ne comptait que trois ou quatre exemplaires. Un nouvel effort de repeuplement a alors été entrepris dans ces régions en 1996, grâce au financement de l’UE dans le cadre du projet « Life Ursus ». Dix ours d’origine slovène ont ainsi été introduits de 1999 à 2002. Cette fois, la tentative a été couronnée de succès.

C’est ce que confirme Claudio Groff, coordinateur du service en charge des grands carnivores de la province autonome du Trentin : « la population d’ours dans les Alpes centrales, dans la région du Trentin, est relativement réduite et isolée. Elle se compose actuellement de 52 à 63 exemplaires. Il convient de mentionner également les ours présents dans la région frontalière entre le Frioul, la Carinthie et les Alpes slovènes, où l’on en dénombre une dizaine ». Bien que ces chiffres témoignent d’une hausse considérable par rapport au passé, ce n’est qu’une goutte d’eau en comparaison avec le nombre d’ours recensés dans toute l’Union européenne, estimés entre 15 000 et 16 000 exemplaires.

Population d’ours bruns en Europe, estimations 2012-2016 (source : Parlement européen, commission de l’agriculture et du développement rural)

 

L’incertitude sur les mesures à adopter

Suite à la réintroduction des ours, leur rapport avec l’homme a dû être réglementé. À cet égard, les deux principaux textes réglementaires de référence sont la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe (1982) et la directive « Habitats » (92/43/CEE). Selon la Convention de Berne, les ours sont une espèce « strictement protégée », tandis que la directive « Habitats » les classe parmi les espèces d’intérêt communautaire pour lesquelles il est nécessaire de créer des zones spéciales de conservation et de garantir une protection pertinente.

Il s’agit toutefois d’obligations de portée générale. C’est pourquoi la Commission européenne a élaboré, entre 2006 et 2008, des lignes directrices sur les plans de gestion des grands carnivores en Europe. L’objectif consistait notamment à clarifier le concept d’« état de conservation favorable » d’une espèce. Suivant la directive « Habitat », cet état est établi lorsque l’espèce en question « continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient, l’aire de répartition naturelle de l’espèce ne diminue ni ne risque de diminuer dans un avenir prévisible et il existe et il continuera probablement d’exister un habitat suffisamment étendu pour que ses populations se maintiennent à long terme ».

Malgré ce cadre juridique, il ressort du dernier rapport commandé par le Parlement européen que les pays européens ne se sont toujours pas mis d’accord sur la façon d’interpréter le concept d’« état de conservation favorable » et sur les mesures prévues par la Convention de Berne. Une telle incertitude entrave la protection des ours bruns, entre autres animaux.

Lorsque l’ours cause des dégâts

Un autre sujet de polémique concernant les ours est celui des dégâts, réels ou présumés, causés aux cultures et aux élevages. Il s’agit d’une question délicate qui est souvent instrumentalisée. À titre d’exemple, il ressort d’une enquête réalisée par le BIRN (Réseau de journalisme d’investigation des Balkans) qu’en Macédoine, l’État a dû verser, au cours des cinq dernières années, plus de trois millions d’euros suite à des procédures judiciaires intentées par des éleveurs et des agriculteurs au motif de dommages causés par des ours. Il est à noter toutefois que les demandes de réparation ont augmenté de façon soudaine par rapport aux dernières années, ce qui laisse penser que certains essaient de s’enrichir en demandant réparation en justice quand bien même les dégâts ne seraient pas imputables aux ours.

En Slovénie, selon l’Agence de l’environnement, le montant des indemnisations s’est élevé à 590 793 euros entre 2005 et 2008. Rien que dans la région du Trentin, 1,27 million d’euros ont été versés en 17 ans, selon les données fournies par l’ancien conseiller en charge de l’agriculture, du tourisme et de la chasse de la province du Trentin, en réponse à une requête.

Nombre de têtes de bétail tuées par des ours, pour lesquels une indemnisation a été octroyée (moyenne 2012-2016) (source : Parlement européen, commission de l’agriculture et du développement rural)

À l’heure actuelle, les États européens cherchent des solutions pour réduire les nuisances dues aux ours. Parmi celles qui sont proposées, figurent la mise en place de clôtures électriques et l’encouragement du pâturage, entraînant la présence de bergers et de chiens. Ces mesures induisent une augmentation des coûts qui, aux dires des experts, sont préférables aux demandes en réparation des préjudices causés et permettent également d’accroître l’acceptation sociale des ours dans les zones de montagne.

Comment garantir une coexistence pacifique

Le problème de la présence de l’ours dans les Alpes réside essentiellement dans le rapport potentiellement conflictuel entre ce dernier et l’homme et ses activités. « Si le niveau de tolérance chutait au-dessous d’un certain seuil, cette espèce pourrait disparaître à cause du braconnage », souligne l’expert de la province autonome du Trentin, Claudio Groff. Ce dernier ajoute que « la présence des ours entraîne irrémédiablement quelques incidents, ce qui déclenche la peur : si l’homme décide que ces risques sont supportables, les ours resteront ; dans le cas contraire, ils disparaîtront ». En réalité, les conflits entre l’homme est l’ours sont plutôt sporadiques, ce qui explique pourquoi, dans les régions où les ours ont été réintroduits, la population locale est souvent disposée à tolérer leur présence.

En Europe, la présence de l’ours est gérée de façon très diverse. Selon Claudio Groff « L’Europe peut être divisée en deux blocs. D’abord un bloc “occidental” comprenant le Trentin, les Abruzzes, les Pyrénées et les Asturies, où les populations d’ours sont réduites et isolées. Toute la gestion y est axée sur leur conservation, ce qui inclut les compensations, la prévention des dommages et les activités de surveillance. On ne tire sur les ours que dans des cas extrêmes, lorsqu’il y a danger. Dans l’autre bloc, qui englobe l’ensemble de l’Europe de l’Est et la Scandinavie, la gestion repose sur la chasse à l’ours, qui constitue une véritable activité commerciale. Là où la chasse est autorisée, les ours font l’objet d’une plus grande acceptation pour deux raisons. D’une part, parce qu’ils peuplent des régions peu habitées, ce qui permet de les contrôler beaucoup plus facilement. D’autre part, ils ont toujours fait partie de cet habitat, donc ils n’inspirent aucune crainte à la population locale, qui les considère comme une attraction touristique ».

À cet égard, M. Groff estime que « chez nous, l’aspect touristique n’entre toujours pas en ligne de compte et l’ours et plutôt perçu comme une nuisance. Dans nos régions, le nombre d’ours est limité et le simple fait de tirer sur un seul exemplaire représente un grand problème, car cela a une incidence sur la capacité de reproduction de l’espèce. Ce n’est qu’en tout dernier ressort qu’un ours peut être abattu ».

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