Emballages plastiques : l’Europe face au défi des déchets

Du fait de normes plus contraignantes, les taux de recyclage des emballages plastiques déclarés par les Etats membres vont chuter. Sans renforcement de ses capacités industrielles, l’Union européenne n’atteindra pas son objectif de 50 % dans cinq ans. 

Published On: octobre 30th, 2020
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Emballages plastiques : l’Europe face au défi des déchets

Du fait de normes plus contraignantes, les taux de recyclage des emballages plastiques déclarés par les Etats membres vont chuter. Sans renforcement de ses capacités industrielles, l’Union européenne n’atteindra pas son objectif de 50 % dans cinq ans. 

Photo: PixaBay

L’Union européenne est confrontée à un problème croissant de gestion de ses déchets plastiques alerte un rapport de la Cour des comptes européenne, à commencer par leur principale composante, les déchets d’emballage. Leur production ne cesse de croître et se situait l’an dernier à 18 millions de tonnes environ. Les emballages représentent un peu plus de 60 % de la production totale de déchets plastiques en Europe. Et alors que la durée de vie du plastique s’étire sur des siècles, 40 % de la production de plastique de l’UE est destinée à produire des emballages qui seront jetés. 

Or à partir du 1er janvier prochain, la gestion de ces déchets va sérieusement se compliquer pour les opérateurs européens. A cette date, en effet, entre en vigueur un amendement à la convention de Bâle sur les exportations de déchets dangereux, adopté en mai 2019. Jusqu’à présent, la plupart des matières plastiques étaient inscrites sur la liste des déchets non dangereux, dite « liste verte ». Désormais, seules les matières recyclables non contaminées, pré-triées, exemptes de tout matériau non recyclable et ayant fait l’objet d’une préparation en vue d’un recyclage immédiat et respectant l’environnement pourront figurer sur la liste verte.

De quoi rendre plus difficiles les exportations vers l’Asie du plastique destiné à être recyclé alors que celles-ci ont déjà pratiquement chuté de moitié depuis 2016, quand la Chine a commencé à fermer son marché et ce qui est aujourd’hui chose faite. Cette grande puissance ne veut plus être une « poubelle du monde » et a durci ses normes sur la qualité des matériaux qu’elle importe pour le recyclage. Une manière aussi de réguler les flux et faire de la place pour le traitement de ses propres déchets plastiques. Résultat, les exportations européennes se sont orientées vers des pays moins-disants, Malaisie et Turquie principalement. Mais avec l’entrée en vigueur de l’amendement à la convention de Bâle en janvier prochain, ces débouchés pourraient à leur tour se réduire.

La perte du marché chinois en 2017-2018 puis la restriction probable à partir de 2021 avec le durcissement bienvenu de la Convention de Bâle complique encore plus l’atteinte des nouveaux objectifs dont l’UE s’est dotée. Elle a en effet révisé en 2018 sa directive relative aux emballages et déchets d’emballages et il s’agit désormais de parvenir à un taux de recyclage des emballages plastique de 50 % en 2025 et de 55 % en 2030. Le précédent objectif – 22,5 % en 2008 – a été atteint et largement dépassé. Aujourd’hui, l’Europe dans son ensemble affiche un taux de recyclage de ses déchets d’emballage plastique de 41 %.

Mais si elle s’est hissée à ce niveau, qui reste au passage très faible comparativement à d’autres matières (le verre est recyclé à 73 %, les emballages métalliques à 76 %, les papiers-cartons à 83 %), c’est en bonne partie grâce à ses exportations. La Cour des comptes européenne écrit ainsi : « L’exportation hors UE de déchets d’emballages en plastique a contribué pour un tiers au taux de recyclage déclaré pour l’ensemble de l’Union européenne en 2017. » Et de fait, si les exportations totales de déchets plastiques reculent, la part des déchets d’emballage dans ces exportations, elle progresse : de moitié en 2012-2013, elle a atteint les trois quarts en 2017.

Alors qu’elles sont aujourd’hui plus que jamais contraintes, les exportations contribuent ainsi fortement à la réalisation d’objectifs qui par ailleurs ont été révisés à la hausse. A ce problème s’en ajoute un autre : le manque de contrôle de ces exportations, tant au départ qu’à l’arrivée dans le pays d’accueil. Selon la réglementation européenne, les déchets exportés pour le recyclage doivent être traités dans le pays de destination selon les mêmes standards environnementaux qu’en Europe. En pratique, cette règle est loin d’être strictement observée. Les déchets peuvent aussi bien se retrouver dans la nature et finir dans les océans, après avoir été pris en charge par des réseaux mafieux qui facturent un traitement fictif.

Les administrations des Etats européens n’ont par définition aucun pouvoir de contrôle dans les pays tiers et les industriels européens, engagés au titre de la « responsabilité élargie des producteurs », procèdent rarement à des vérifications du devenir de leurs déchets dans les pays d’arrivée.  « Dès lors, l’assurance en ce qui concerne le recyclage en dehors de l’Union européenne est faible et le risque d’activités illégales est élevé », écrit la Cour des comptes, selon qui « l’élimination illégale des déchets constitue un des marchés illégaux les plus rentables au monde, à égalité avec la traite des êtres humains, le trafic de drogue et le commerce illicite des armes à feu, en raison du faible risque de poursuites et du montant peu élevé des amendes ». Encore cité par la Cour des comptes, le projet de recherche européen BlockWaste a estimé en 2017 que 13 % du marché des déchets non dangereux s’évanouissait dans des filières illégales, proportion qui passe à 33 % pour les déchets dangereux. 

La question des exportations n’est pas la seule inquiétude pour se mettre en conformité avec les nouveaux objectifs européens de recyclage, par ailleurs juridiquement contraignants. La révision de 2018 de la directive emballage a par ailleurs imposé aux Etats membres des règles de comptabilisation plus strictes et harmonisées à compter de 2020. Jusqu’ici, chaque pays avait beaucoup de latitude, d’où de grandes divergences dans les méthodes de calcul. Par exemple, les quantités de plastique déclarées comme recyclées peuvent l’être à différentes étapes du processus de collecte, de tri et de recyclage. De plus, souligne la Cour des comptes, les procédures de vérification sont de qualité très inégale et personne ne prend de risque à fournir des informations inexactes. Bref, les statistiques européennes actuelles sont à prendre avec circonspection. 

Les nouvelles règles de comptage, qui s’appliquent à partir de cette année, devraient donner une image plus conforme à la réalité, ce que devraient révéler les statistiques en 2022. Mais les professionnels ont déjà calculé que ces nouvelles normes vont faire drastiquement chuter les taux de recyclage dans les Etats membres. A l’échelle européenne, le taux actuel de 41 % pourrait ainsi chuter à… 30 %. Et faire revenir l’Europe dix ans en arrière. 

Entre rapportage plus rigoureux et restrictions à l’export, la marche pour atteindre l’objectif des 50 % d’ici à cinq ans va donc être haute à gravir, surtout pour les pays qui sont à la traîne. Il est donc urgent que l’UE augmente sur son sol ses capacités de traitement aujourd’hui insuffisantes, à la fois par des efforts nationaux et une solidarité accrue entre Etats membres dans ce domaine. Si ces investissements ne sont pas réalisés, ce sera un appel d’air pour le trafic illégal. Le rapport de la Cour des comptes prévient très clairement d’un risque accru d’élimination frauduleuse des déchets dans le contexte actuel. 

L’augmentation du taux de recyclage n’est pas qu’affaire d’investissement dans les chaînes de collecte et les unités de traitement, rappellent toutefois les magistrats européens. Il faut agir aussi aux deux extrémités de la chaîne. En aval, il est crucial d’assurer des débouchés pour les matières recyclées. Aujourd’hui, les capacités de production de plastique recyclé excèdent largement les capacités d’incorporation. La quantité de plastique recyclé utilisée annuellement dans l’UE s’élève à 4 millions de tonnes indique la Cour des comptes, l’objectif de la Commission étant d’arriver, dans le cadre de l’« Alliance pour les plastiques circulaires », à 10 millions de tonnes en 2025, soit environ le niveau actuel du recyclage. Selon Plastic Europe, le syndicat des professionnels, 29,1 millions de tonnes de déchets plastique (tous types confondus) ont été collectés en 2018, dont 32 % pour le recyclage, 43 % pour la valorisation énergétique (incinération) et 25 % mis en décharge.

En amont, il faudra améliorer la recyclabilité des emballages plastiques. La Cour souligne à cet égard les failles du mécanisme de la REP, la « responsabilité élargie du producteur ». Avec ce système, les industriels qui produisent ces emballages acquittent une redevance pour le traitement de leurs produits en fin de vie, suivant le principe « pollueur-payeur », qui se loge in fine dans le prix payé par le consommateur. Cependant, telle qu’elle est mise en œuvre, la REP ne favorise pas forcément les meilleures pratiques. Le plus souvent, le montant de la redevance payée par les industriels est calculé en fonction du poids. Ce qui incite à alléger les emballages pour limiter les coûts. Le poids moyen d’une bouteille en polyéthylène téréphtalate (PET) d’un demi-litre est ainsi passé de 24 grammes en 1990 à 9,5 grammes en 2013. Mais, indique la Cour, cette performance a impliqué des modifications de la bouteille, avec une structure multicouches et l’usage de plusieurs matières plastiques différentes, ce qui rend difficile la recyclabilité.

Certains pays, comme les Pays-Bas, appliquent une modulation de la redevance en fonction de la recyclabilité, mais il s’agit d’initiatives isolées. La révision de la directive emballages de 2018 prévoit une écomodulation des redevances, qui doit s’appliquer dans tous les Etats membres et il faudra voir quels en seront les effets de cet effort d’harmonisation par le haut.

Les nécessaires progrès à faire sur le front du recyclage des emballages plastique ne doivent toutefois pas faire perdre de vue l’urgence d’en réduire l’usage et la production. Même si de ce point de vue les Européens sont plus vertueux que les Américains, avec 32 kilogrammes de déchets d’emballages plastique par personne et par an contre 45 kg outre-Atlantique, leur empreinte est six fois supérieure à celle d’un Indien (5 kg par an et par personne). Or malgré les progrès du recyclage des emballages, passé de 5,5 millions de tonnes en 2013 à 7 millions en 2017, la production de déchets partant à l’incinération ou à la décharge n’a pas reculé mais est restée stable, autour de 9,5 millions de tonnes par an : loin de réduire leur consommation d’emballages plastiques, les Européens en utilisent toujours plus. 

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