Élargissement : c’est reparti, mais au ralenti

La Commission européenne relance les perspectives d'élargissement aux Balkans occidentaux, en tant qu'investissement géostratégique pour l'UE. Mais pour Bruxelles, la nécessité de réformes est toujours à l'ordre du jour. L'adhésion de la Serbie et du Monténégro pourrait se produire en 2025

Published On: mars 2nd, 2018
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Élargissement : c’est reparti, mais au ralenti

La Commission européenne relance les perspectives d’élargissement aux Balkans occidentaux, en tant qu’investissement géostratégique pour l’UE. Mais pour Bruxelles, la nécessité de réformes est toujours à l’ordre du jour. L’adhésion de la Serbie et du Monténégro pourrait se produire en 2025

Belgrade

La Commission relance le projet d’intégration des Balkans occidentaux au sein de l’UE. Les lignes directrices de la nouvelle stratégie vis-à-vis de cette région sont établies dans un document concis intitulé « Une perspective d’élargissement crédible ainsi qu’un engagement de l’Union européenne renforcé pour les Balkans occidentaux », présenté le 6 février dernier. Cette stratégie fixe à l’horizon 2025 l’objectif ambitieux d’une éventuelle adhésion du Monténégro et de la Serbie et prévoit l’engagement de négociations à court terme avec la Macédoine et l’Albanie, tandis que la Bosnie-Herzégovine, mais aussi et surtout le Kosovo, sont toujours à la traîne.

Aujourd’hui, l’importance d’un élargissement renouvelé aux Balkans occidentaux est particulièrement mise en exergue par le président de la Commission Jean-Claude Juncker, qui y voit un investissement géostratégique favorable aux intérêts économiques, politiques et de sécurité de l’UE. C’est pourtant ce même Juncker qui, fraîchement élu en 2014, avait réduit au néant les espoirs des pays de la région en annonçant alors qu’« il n’y aura pas de nouvel élargissement dans les cinq prochaines années ». Cette décision avait été prise, il est vrai, à un moment pour le moins délicat pour l’Union européenne, frappée par plusieurs crises successives et occupée par d’autres priorités, tandis que l’opinion publique européenne se montrait de plus en plus sceptique, voire ouvertement opposée aux nouveaux élargissements.

Ce volte-face semble d’abord motivé par des considérations de nature géopolitique et de sécurité. Le vide de pouvoir et d’influence est toujours comblé : pendant que Bruxelles regardait ailleurs, la « route des Balkans » devenait le cœur de la crise migratoire, tandis qu’augmentaient à vue d’œil les intérêts et la présence d’autres acteurs internationaux dans le sud-est de l’Europe.

Tout d’abord, le rôle joué par la Russie est préoccupant car il est de plus en plus clair, depuis l’émergence de la crise en Ukraine, qu’elle n’hésite pas à s’appuyer sur un « pouvoir discret », la charte de l’énergie et une stratégie de désinformation pour mettre en évidence les points faibles de l’UE dans sa « cour intérieure ». La Turquie, où le régime d’Erdogan s’éloigne de plus en plus des valeurs communes de l’UE, est également pointée du doigt.

Quant à la Chine, dans le cadre de sa stratégie d’affirmation internationale, elle a jeté son dévolu sur la région, qu’elle considère comme un point d’ancrage naturel en Europe le long de la nouvelle et grandiose route de la soie (Belt and Road Initiative) promue par Pékin.

Par ailleurs, le Brexit s’est révélé un allié, certes involontaire, des Balkans occidentaux. En effet, suite à l’annonce de la sortie de la Grande-Bretagne, Bruxelles ressent le besoin de réaffirmer le pouvoir d’attraction du projet européen face aux retombées négatives du premier et douloureux « rétrécissement » de l’Union européenne.

Oui à l’élargissement, mais sans renoncer aux réformes

Toutefois, la nouvelle ouverture aux Balkans occidentaux, qui réitère la promesse solennelle d’intégration formulée au sommet de Thessalonique de 2003, ne garantit pas un parcours sans heurts, des échéances fixes et des progrès automatiques. Pour pouvoir bénéficier de ce qui est qualifié d’« opportunité historique », les gouvernements des pays de la région sont invités à mettre en œuvre un nouveau plan de réformes dans des domaines essentiels tels que l’état de droit, la compétitivité, la coopération régionale et la réconciliation.

Le constat que dresse la Commission est loin d’être complaisant : malgré « les progrès manifestes accomplis depuis les années 90 » et une forte augmentation des échanges commerciaux entre les Balkans et l’UE (hausse de 80 % depuis 2008), il reste encore fort à faire dans les pays de la région, où l’on observe de façon patente des « liens avec la criminalité organisée et la corruption à tous les niveaux de l’administration », un « sentiment généralisé d’impunité », « une ingérence et une contrôle politique des médias » et des « systèmes économiques non compétitifs qui n’entrent pas dans la catégorie d’économie de marché viable ».

Le document présenté par la Commission insiste particulièrement sur la nécessité de résoudre tous les différends bilatéraux et de s’engager dans de véritables politiques de réconciliation avant d’aspirer à devenir membre de l’UE. Échaudée par le conflit entre la Croatie et la Slovénie autour de la baie de Piran, Bruxelles « n’acceptera pas d’importer de nouveaux différents » porteurs d’une instabilité dangereuse. Ce message s’adresse surtout à la Serbie et au Kosovo, qui devront parvenir à « un accord juridiquement contraignant de normalisation de leurs relations » en vue d’entrer dans l’Union européenne, ainsi qu’à la Macédoine, qui doit encore résoudre la question de son nom, source de conflit avec la Grèce depuis de nombreuses années.

Selon le scénario le plus optimiste, la Commission prévoit que la Serbie et le Monténégro pourraient être prêts pour une adhésion en 2025. Répondant à un objectif à plus court terme, l’ouverture de négociations avec l’Albanie et la Macédoine pourrait déjà se produire en juin prochain, si l’on en croit les déclarations des ministres des affaires étrangères de l’UE réunis récemment à Sofia lors d’un sommet informel. Certes, l’adhésion de ce pays à l’Union est liée à la solution du nom à adopter mais la Grèce et la Macédoine semblent bien décidées, aujourd’hui plus que jamais, à mettre fin à ce vieux bras de fer.

En revanche, la situation de la Bosnie-Herzégovine et du Kosovo est beaucoup plus délicate. Pristina est clairement déçue de la nouvelle stratégie : le Kosovo, non reconnu pas cinq États de l’UE, reste dans les limbes et n’a aucune certitude quant au fait de savoir si et quand elle pourra au moins entamer le processus que Belgrade espère achever au cours des prochaines années.

La responsabilité de la mise en œuvre des mesures d’alignement sur les normes de l’Union européenne repose clairement sur les épaules des élites locales. « Les dirigeants de la région doivent s’approprier pleinement le processus et montrer l’exemple », est-il affirmé dans le document de la Commission, qui tient à rappeler ensuite que « l’adhésion à l’UE est un choix qui suppose de parvenir à un consensus politique et sociétal ».

Quant à l’UE, elle propose un ensemble de nouvelles mesures de soutien sous forme de six « initiatives phares pour les Balkans occidentaux », qui vont du renforcement de l’État de droit au soutien à la connectivité et à la stratégie numérique, le tout accompagné d’une légère augmentation des fonds destinés à la région en 2018 (à hauteur d’un peu plus d’un milliard d’euros).

Travaux en cours

La nouvelle stratégie de l’UE constitue une étape importante, surtout en raison du message politique qu’elle envoie à la région. Loin des atermoiements du début du mandat, la Commission du président Juncker affirme aujourd’hui explicitement que l’adhésion des Balkans occidentaux sert non seulement les intérêts de la région, mais également ceux de l’Union européenne.

Bruxelles offre un nouvel espoir tout en avertissant d’un ton sévère qu’elle n’est nullement disposée à accepter de nouveaux membres qui ne sont pas prêts à relever le défi, dans une allusion à peine voilée à des pays comme la Bulgarie et la Roumanie, qui sont encore montrées du doigt aujourd’hui malgré leur statut de membre à part entière depuis plus de dix ans.

La nouvelle stratégie trace donc les contours d’une feuille de route possible sans renoncer à de fortes conditionnalités afin de maintenir la pression sur les dirigeants des pays de la région, dont les responsables politiques de l’UE continuent à se méfier. Il reste des incertitudes, d’une part, sur la capacité de maintenir l’enthousiasme de l’opinion publique dans les Balkans (déjà sensiblement en baisse ces dernières années) à l’égard des perspectives d’adhésion, alors que le calendrier est considérablement éloigné de l’horizon quotidien de la population et, d’autre part, sur la possibilité réelle d’intégrer les pays de la région de façon progressive sans créer les conditions de vetos croisés opposant les pays admis et les pays exclus, malgré la volonté affichée de résoudre les différents pendant que tout le monde se trouve encore dans la salle d’attente.

Il ne fait pas de doute que la nouvelle stratégie pour les Balkans occidentaux représente un nouveau point de départ. Pour soutenir cette initiative et lui donner de la crédibilité, Jean-Claude Juncker a d’ailleurs annoncé qu’il se rendra prochainement dans la région, en commençant par la Macédoine. Le prochain rendez-vous important sera le sommet des Balkans à Sofia, qui sera organisé en mai par la Bulgarie dans le cadre de sa présidence semestrielle de l’UE. Skopje et Tirana pourraient y recevoir le feu vert en vue de l’ouverture de négociations, première étape décisive d’un processus appelé à durer des années, voire des décennies.

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