Avec le SCAF, l’intégration européenne fait un pas en avant

Les deux géants de l’aéronautique Dassault Aviation et Airbus développent ensemble un nouvel avion de chasse et son système de combat. Un programme crucial pour l’industrie militaire européenne et qui pourrait contribuer au renforcement du projet européen.

Published On: juillet 5th, 2021
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Avec le SCAF, l’intégration européenne fait un pas en avant

Les deux géants de l’aéronautique Dassault Aviation et Airbus développent ensemble un nouvel avion de chasse et son système de combat. Un programme crucial pour l’industrie militaire européenne et qui pourrait contribuer au renforcement du projet européen.

© aapsky/Shutterstock

Le 17 mai 2021, les ministres de la Défense française, allemande et espagnole ont signé un nouvel accord en vue du développement du démonstrateur d’un futur avion de chasse européen, censé effectuer son premier vol en 2027. Le programme de Système de combat aérien du futur (SCAF) franchit ainsi une nouvelle étape, après d’âpres négociations menées pendant des mois entre les deux principales entreprises impliquées, Dassault Aviation et Airbus, sur les modalités de leur coopération (voir ici et ici ). 

Le programme SCAF vise, entre autres objectifs, à remplacer les avions de chasse français, allemands et espagnols d’ici 2040. Il s’agit à cette fin de développer un avion de combat dit de sixième génération, le New Generation Fighter (NGF), ainsi qu’un système de combat collaboratif – en bref, un système qui permette d’améliorer le partage des informations entre les différents acteurs opérationnels : avions, drones, satellites, missiles, navires de guerre etc.. Le lancement du programme (dont le coût total est estimé entre 50 et 80 milliards d’euros) a été annoncé par le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel en juillet 2017. Suite à la décision du premier ministre Pedro Sánchez, le programme a également été rejoint par l’Espagne en 2019. Il sera ouvert à d’autres pays européens dans un second temps. 

Le projet est supervisé par la France au niveau industriel et politique, en contrepartie d’un leadership allemand sur deux autres projets d’armement auxquels participe l’Hexagone, dont un projet franco-allemand de char d’assaut (Main Ground Combat System ) lancé en 2018. Ainsi, Dassault Aviation a été désigné coordinateur de la partie NGF du SCAF et maître d’œuvre du projet SCAF en règle générale, tandis qu’Airbus (dont les Etats français, allemand et espagnol sont tous trois actionnaires) coordonnera la partie drones et cloud du programme.

Ces dernières années, différents événements ont favorisé la réalisation de projets d’armement conjoints au sein de l’Union européenne (UE). On peut notamment évoquer les réformes adoptées sous la Commission Junker (2014-2019), l’émergence d’un contexte géopolitique mondiale plus instable ou encore les tensions apparues entre les Européens et le président américain Donald Trump (2017-2021), y compris dans le domaine de la défense. Étant donné sa dimension stratégique, tant au niveau militaire qu’industriel, le SCAF, tout comme son concurrent européen, le projet Tempest, mené par le Royaume-Uni, l’Italie et la Suède, pourrait contribuer de manière significative à l’approfondissement du projet européen.

Un programme tributaire d’une logique industrielle ancienne 

Au sein de l’UE, la coopération dans le secteur de l’industrie militaire demeure complexe. Après l’échec du projet de Communauté européenne de défense en 1954, la construction européenne s’est principalement orientée vers un rapprochement économique des Etats. Ainsi, pour la plupart des Etats membres, c’est l’OTAN qui constitue la pierre angulaire de la défense de l’Europe. 

Conséquence de cette dynamique, l’industrie militaire européenne demeure fragmentée et le mouvement de concentration qui s’opère dans ce domaine est encore récent. On observe donc une large redondance des programmes d’armement au sein de l’UE. Le fait que les armées de l’Union mettaient en œuvre vingt types d’avions de combat différents en 2019, contre seulement six pour l’armée américaine , illustre bien cet état de fait. Une telle situation comporte de nombreux inconvénients pour les Etats dotés d’une industrie militaire. 

Chacun doit en effet financer ses propres programmes d’armement, s’efforcer de passer un niveau de commande suffisant pour subvenir aux besoins des entreprises impliquées et tenter d’exporter les systèmes d’armes en question afin d’amortir des coûts de développement en constante augmentation du fait des progrès technologiques. Les industriels européens doivent enfin affronter la concurrence provenant d’autres Etats et en premier lieu celle provenant des Etats-Unis, pays dont l’industrie militaire bénéficie d’un marché national sans commune mesure avec les marchés européens mais également du choix de nombreux Etats membres de s’équiper en matériel américain depuis plusieurs décennies, dans le domaine de l’aviation de combat notamment – voir les nombreux succès du F-35 et du F-16. 

De longues négociations industrielles et politiques

La fragmentation de l’industrie militaire européenne explique en partie les difficultés à s’entendre que rencontrent les acteurs du programme SCAF. Outre l’opposition de Dassault Aviation et Airbus, on peut rappeler les tensions apparues entre les deux principales entreprises chargées du développement du moteur du NGF, Safran (France) et MTU (Allemagne), à propos du partage des tâches et des responsabilités. En février 2019, les deux parties parviennent à un accord, par ailleurs approuvé au niveau des gouvernements français et allemand : Safran est désigné chef de file de la conception du moteur, avec MTU comme partenaire principal. Pourtant, dans les semaines qui suivent, MTU, appuyé par certains parlementaires allemands, remet en cause cet accord, accusé de pénaliser l’industrie allemande. La commission du budget du Bundestag devant nécessairement approuver toute dépense supérieure à 25 millions d’euros, la notification du contrat de développement des démonstrateurs (avion et drones) aux industriels, initialement prévue pour juin 2019, est reportée jusqu’à ce que ces derniers parviennent à un nouvel accord. Celui-ci n’est finalement évoqué que début 2020 (création d’une coentreprise Safran-MTU en 2021). Une proposition en ce sens a été remise aux gouvernements français, allemand et espagnol début avril 2021.

Par ailleurs, le vote des crédits au  Bundestag a également été ralenti par les difficultés rencontrées dans les négociations concernant le projet de char franco-allemand. En effet, certains députés allemands ont jugé que la place des industriels d’Outre-Rhin pouvait être améliorée et ont menacé de bloquer le vote de l’enveloppe nécessaire au SCAF tant qu’un nouvel accord ne serait pas trouvé concernant cet autre projet. Celui-ci a finalement été signé en octobre 2019. 

Afin d’aboutir à un accord sur le SCAF, la France et l’Allemagne ont également dû s’entendre sur le sujet complexe des règles d’exportation d’armes. En effet, les deux pays ont à cet égard une approche très différente, en apparence du moins. Après de longues négociations, les deux pays sont parvenus à un accord juridiquement contraignant le 16 octobre 2019 : en règle générale, l’Allemagne ne peut plus s’opposer à l’exportation d’armes par la France tant que celles-ci comportent moins de 20% de composants allemands, et vice versa. 

De la coopération industrielle au rapprochement politique de haut niveau 

Malgré la complexité inhérente à ce programme, son intérêt pour les Etats impliqués semble indéniable. Le SCAF constitue une tentative ambitieuse d’enrayer une situation à terme désastreuse pour l’industrie militaire européenne. Par la mutualisation des coûts, on évite la redondance des programmes d’armement, contre-productive du point de vue de l’efficacité des investissements consentis. On garantit en outre la pérennité des industries militaires nationales ou européennes impliquées, tout en dégageant des fonds pour le développement de nouvelles technologies qu’un État seul n’aurait pu se permettre d’investir – un élément essentiel pour disposer d’une défense opérationnelle, pour assurer l’exportation des matériels développés et pour faire bénéficier le secteur civil des retombées de ces recherches.

Du fait de la fragmentation persistante de l’industrie militaire européenne, la réussite d’une telle entreprise nécessite l’élaboration d’une même vision stratégique de long terme. Autrement dit, il s’agit de parvenir à une vision du monde commune, de s’accorder sur les intérêts et les valeurs à défendre, de définir les menaces qui pèsent sur ces éléments et sur la manière de répondre à celles-ci. Un tel travail, essentiellement politique, exige une connaissance et une confiance mutuelle particulièrement approfondie. En effet, un projet comme le SCAF revient pour chaque Etat à renoncer à disposer en propre de l’ensemble des moyens de sa souveraineté, dans la mesure où il délègue à d’autres le soin de développer une partie des technologies censées la garantir.

En initiant cette coopération, la France, l’Allemagne et l’Espagne ont fait le choix de ne pas dépendre de l’allié américain pour garantir leur souveraineté, mais de transposer une partie de celle-ci au niveau européen. Ce faisant, ces trois pays et ceux qui les rejoindront par la suite pourraient bien faire franchir une nouvelle étape au rapprochement des Etats membres et accentuer à terme la dimension politique du projet européen. Un tel effet serait encore accentué en cas de fusion du projet SCAF avec le projet Tempest. En cas de succès, les programmes d’armement conjoints permettraient à l’industrie militaire européenne de moins dépendre de sa capacité à exporter à tout prix, ce qui – on peut l’espérer – pourrait  favoriser la mise en place de politiques d’exportation d’armes en dehors de l’UE plus strictes. 

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